Entre juin et septembre 2018, en compagnie de Gilles de la partie Chili de l’association Sadr, et Jean-Paul, mon compère de la partie Espagne de cette même association, nous nous sommes relayés pour observer et mettre en image la rétrogradation de Mars dans le ciel.
Observation de mars en 2018 orchestrée et mise en image par Gilles Coulon de l’association Sadr
Ce mouvement étrange dans le ciel a été une des principales épines dans le pied des systèmes géocentriques. Pour expliquer ce mouvement, il a fallu imaginer que les planètes tournent dans un cercle autour d’un cercle autour de la Terre.
Ces fameux « cercles dans les cercles » sont représentatifs de nos modèles de pensée : lorsque nos observations semblent contredire nos connaissances et théories ancrées, nous avons tendance à inventer des usines à gaz pour justifier nos modèles avec une obstination parfois irrationnelle.
Alors qu’une explication simple, élégante, qui pourrait rendre compte de nos observations au prix d’une modification de nos préjugés et acquis, nous est souvent difficile à accepter.
Rien de tel pour illustrer ceci qu’une petite fresque historique des systèmes géocentriques, d’Aristote à Tycho Brahe.
Système géocentrique de Ptolémée
Les systèmes pré-aristotéliciens
Système géo-héliocentrique d’Héraclide du Pont
Il existe plusieurs modèles du système solaire préaristotéliciens. Pour les savants grecs d’avant le VIe siècle avant J.-C. comme Thalès ou Anaximandre, la Terre est plate, et les astres sont des corps fixés sur des sphères en révolution.
À la fin du VIe siècle avant J.-C., les pythagoriciens viennent améliorer ce modèle en proposant une Terre sphérique au sein de dix sphères, la dernière, la sphère des fixes portant les étoiles. Platon décrit l’espace entre les sphères en y ajoutant des éléments (de l’eau, de l’air, du feu, …), et situe la Terre au centre de l’univers.
D’autres modèles alternatifs sont imaginés, comme celui d’Eudoxe de Cnide qui imagine que les sphères tournent sur des axes différents (expliquant ainsi que les planètes ne sont pas toutes à la même hauteur dans le ciel), où celui d’Héraclide du Pont qui fait tourner Vénus et Mercure autour du Soleil, qui tourne lui-même autour de la Terre, qui est fixe.
Cependant, aucun de ces modèles n’arrive à expliquer ce mouvement rétrograde que l’on observe à certains moments: quand certaines planètes semblent ralentir, revenir en arrière avant de repartir.
Le système d’Aristote et Hipparque
Épicycle et déférent
Pour Aristote la Terre est ronde et l’univers, se divise en deux parties : le monde sublunaire (de la Terre à la lune) et supralunaire (au-delà).
Le monde sublunaire est imparfait, et continuellement en mouvement, à l’opposé du monde supralunaire, fixe, parfait et éternel. Les astres du système solaire étaient placés des sphères en orbite circulaire (le cercle étant la figure parfaite) autour de la Terre comme pour Platon. Toutefois, pour expliquer le mouvement apparent de rétrogradation des planètes, il imagine un système de sphères tournant autour des sphères, tournant autour de la Terre. Son système contient au final 55 sphères, y compris la dernière, la sphère des fixes, qui comme Platon porte les étoiles.
Au IIe siècle avant J.-C., Hipparque fait tourner les planètes sur des roues appelées épicycles. Ceux-ci tournent eux-mêmes sur une autre roue — appelée déférent — dont le centre est la Terre. De cette façon Hipparque rendant compte du mouvement de toutes les planètes, ainsi que de la lune. Il devint alors possible de faire les premières tables de prévision de phénomènes précis comme des éclipses.
Le système de Ptolémée
Ptolémée, courant IIe siècle avant J.-C., marque l’apogée de l’astronomie de l’antiquité. Son oeuvre, en treize volumes, se base sur une série d’observations. Il complexifie le modèle d’Hipparque en introduisant la notion de point équant, qui ne place plus exactement la terre au centre (mais elle reste toutefois fixe).
Ce nouveau modèle permet de rendre compte de toutes les observations précises du mouvement des planètes faites depuis l’antiquité, sans toutefois donner aucune explication du “pourquoi”.
La trajectoire de Mars selon Ptolémée
Le système d’al-Tusi
Le système de Ptolémée ne sera pas remis en cause pendant près de 1500 ans. L’occident ne fait quasi aucune d’avancée en astronomie jusqu’à la fin de l’époque médiévale, ce qui n’est pas le cas du monde arabe, qui construit de nombreux observatoires, traduit les ouvrages grecs, développe les mathématiques et les sciences.
Nasir ad-Din al-Tusi (1201-1274) propose de remettre en cause un principe fondamental du système de Ptolémé en supprimant le concept de point équant tout en faisant tourner la terre sur elle-même. Ibn al-Shatir vers 1350 reprendra et détaillera ses travaux.
On sait aujourd’hui que Nicolas Copernic se servit du modèle Terre-Lune et Terre-Soleil d’Ibn al-Shatir pour bâtir son modèle héliocentrique.
Le modèle du mouvement planétaire selon Al Tusi.
Le système de Tycho Brahe
Au XVIe siècle, l’astronome danois Tycho Brahe propose l’une des dernières versions du modèle géocentrique. Postérieur à Copernic, il rejette toutefois son modèle héliocentrique, pour des raisons plus religieuses que scientifiques. Il apporte une dernière modification du modèle de Ptolémée: toutes les planètes sauf la terre tournent autour du soleil, qui lui tourne autour de la terre.
Enfin, il va enterrer définitivement le modèle d’Aristote quand à la séparation du monde supralunaire (au-delà de la lune, parfait, immuable, etc..) au monde sublunaire (entre la terre et la lune, monde changeant, chaotique, etc..) en observant la comète de 1577 et en montrant que sa distance la plaçait au-delà de la lune, dans le monde supralunaire.
Le système de Tycho Brahe.
À part de rares précurseurs souvent peu écoutés, le modèle géocentrique aura fait la quasi-unanimité pendant près de 2000 ans. Il était impensable d’imaginer un système dont nous, ou la Terre ne serions pas le centre. Alors que de nouvelles observations venaient mettre en cause notre modèle géocentrique précédent, nous nous sommes contentés de le complexifier. Nous avons ajouté des cercles dans des cercles dans des cercles plutôt que d’imaginer simplement un modèle dont nous n’étions pas le centre.
Il faudra attendre la renaissance en occident, avec les travaux de Nicolas Copernic (1473-1543), Giordanno Bruno (1548-1600), Galieo Galilée (1564-1642) et Johannes Kepler (1571-1630), ainsi que l’invention d’instruments optiques permettant de nouvelles observations pour opérer la révolution qui forcera l’humanité à faire le deuil de sa place au centre de l’univers, et ce afin d’expliquer de manière beaucoup plus simple le mouvement apparent des astres dans le ciel.
L’Église catholique ne reconnaitra le modèle héliocentrique qu’au XIXe siècle.
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